En matière de champignons, nombreux sont ceux qui croient savoir. Mais le fait est qu’ils ne savent pas. Résultat des courses : en France, chaque année, 1 500 personnes sont intoxiquées par le produit de leur cueillette. Pour éviter les mauvaises surprises, un spécialiste nous guide.

L’automne et là, et avec lui les champignons à portée de mains dans les forêts et les prairies. Comme il est tentant de les ramasser avant de les déguster poêlés ou en omelette ! Certes, mais gare. Si chacun connaît la dangerosité de l’amanite phalloïde, pour prendre l’exemple le plus célèbre, il y a vite fait de confondre une espèce comestible avec une autre, toxique. Avec les risques de douleurs abdominales, nausées, vomissements, diarrhées, voire pire (problèmes hépatiques et rénaux), que cela induit.

La première chose à faire est de partir accompagné de spécialistes. La Société mycologique du Poitou, celle du massif d’Argenson ou la Société mycologique du nord Deux-Sèvres organisent des sorties encadrées riches d’enseignements sur ce monde fabuleux loin d’être totalement exploré ; il faudrait une vie pour connaître toutes les espèces, au nombre de 25 000 en France à ce jour ! Les spécialistes éviteront aux amateurs les intoxications, dues à des champignons toxiques bien sûr, mais aussi à des champignons comestibles dont la date de consommation est largement dépassée (ce qui n’est pas indiqué dessus). C’est là où les connaissances valent de l’or. « Il y a une culture latine selon laquelle, si c’est moi qui ai ramassé, il faut que je le mange », indique Yann Sellier, vice-président de la Société mycologique du Poitou et chargé de mission scientifique sur la réserve du Pinail (parmi d’autres nombreuses fonctions en lien avec la biologie et la mycologie). « On peut être intoxiqué – avec les désagréments que l’on imagine, gastro-entérite au minimum – avec des comestibles ramassés dans des endroits pollués, ou s’ils sont trop vieux, mal conservés. »

 

Hygrocybe coccineocrenata ©Yann Sellier

Méfiez-vous des images

S’il y a de grands groupes de champignons que chacun ou presque connaît – coulemelles, cèpes ou plutôt bolets (le cèpe étant un nom commercial) – d’autres invitent à la plus grande prudence. Ils ne sont pas faciles à distinguer, c’est toute la complexité de l’exercice. À partir de là, la présence, aux côtés du gourmet-promeneur du dimanche, d’un vrai mycologue, vaut mieux qu’une quantité de fiches dans les poches*. « Chacun cherche des repères simples, poursuit Yann Sellier. Or, c’est une science qui n’est pas simple et qui est en perpétuelle évolution. Des espèces sont découvertes chaque jour. Pourquoi un bouquin ne suffit pas ? Parce que les gens regardent les images. Mais c’est comme si l’on confondait une 106 rouge et une Ferrari, uniquement parce qu’elles sont de la même couleur. Je vous assure que les confusions sont de cet ordre-là. Les gens veulent que ça ressemble à la photo. » Or, dans une même famille de champignons, on peut avoir des comestibles et des mortels ; le pire, c’est que tous les toxiques ne sont pas forcément mauvais au goût ! « L’amanite phalloïde est un excellent comestible… mais une seule fois. » Si de nombreux toxiques sont amers ou dégagent une mauvaise odeur, ce n’est pas une loi ; les contre-exemples abondent. « Enfin, il y a une question de quantité. Il ne faut pas manger trop de champignons trop souvent. Ce sont des bio-accumulateurs de métaux lourds, notamment. Sans oublier la présence de statine dans les bolets, tricholomes… Pris en excès, ça peut bloquer les muscles. » Or, le cœur, par exemple, est un muscle. « Il y a eu des morts à cause d’une trop grande consommation de champignons pourtant comestibles. »

 

Amanita phalloïdes ©Yann Sellier

Où sont les cèpes ?

Malgré nos recommandations, vous avez fait une cueillette en solitaire ? Au moins, demandez des conseils. Mais à qui ? « Les pharmaciens s’y connaissent de moins en moins. Des étudiants viennent à nos expos ou avec nous sur le terrain, mais ils sont évalués sur la connaissance de 120 espèces. D’autre part, les savoirs s’effacent avec le temps. » Sans compter les pièges : des espèces dites comestibles il y a quelques décennies sont aujourd’hui considérées comme mortelles ! Parce que des espèces ont été découvertes, ou distinguées, ou bien encore parce que certaines sont mortelles, mais pas à tous les coups, pas toujours, pas pour tout le monde ; le diagnostic médical a progressé lui aussi.

Les conseils sont donc à prendre auprès d’une personne qui adhère à une société, qui donne les noms latins des espèces, qui a une bibliothèque riche en ouvrages mycologiques, et qui établit des observations au microscope avec des réactifs : c’est cela, un mycologue !

Toutes précautions prises – la première étant de s’inscrire à une sortie accompagnée –, il y a moyen de se régaler dans le Poitou de cèpes, de chanterelles jaunissantes (sous les pins, eux-mêmes importés), de coulemelles. Où ? Un bon cueilleur ne vous donnera pas son coin à champignons ! Néanmoins, c’est dans les forêts anciennes que vous aurez le plus de chances de trouver des cèpes. « Les champignons sont les partenaires de vie des gros arbres. Plus les systèmes forestiers sont vieux, matures, avec du bois mort au sol, plus vous aurez des productions massives. Cela va avec l’équilibre de l’écosystème. » Quant à la manière de cueillir le champignon, à la nécessité de le tourner avant de l’arracher ou de le couper au couteau… cela n’a aucune importance !

Aucun « truc »

Insistons sur ce point : il n’existe aucun truc pour déterminer à coup sûr une espèce comestible ou toxique. « On entend des choses folles, regrette Yann Sellier, comme le fait que tous les champignons qui bleuissent sont toxiques. C’est entièrement faux. On entend que tous ceux qui poussent sur les arbres sont comestibles. Faux, certains sont même mortels. Je ne parle même pas des cuillères d’argent qui noircissent en les approchant d’un champignon toxique. » Les choses à connaître précisément sont les espèces, et celles avec lesquelles il peut y avoir confusion. C’est en sachant cela que l’on évite les complications.

« Les champignons ne vont pas bien »

Les champignons sont des indicateurs de la bonne santé, ou non, de nos forêts. Mais, en raison du changement climatique et de ses conséquences, on note une dégradation de leur santé, à eux. Cela ne touche pas forcément les espèces bien connues, mais certaines ont disparu des radars des mycologues depuis 35 ans.

*Yann Sellier conseille cependant deux guides : Guide des champignons, France et Europe, de Guillaume Eyssartier et Pierre Roux, Belin ; Guide des champignons de France et d’Europe, de Régis Courtecuisse et Bernard Duhem, Delachaux.

 

Infos : www.societe-mycologique-poitou.org