C’est dans la zone industrielle Nord, en périphérie de Loudun, que se trouve l’une des pépites françaises en matière de verre et de haute cristallerie : Ematek. Mais l’entreprise est beaucoup plus ancienne, et n’est pas loudunaise d’origine puisque c’est à Paris que Vincent et Alexandre Alexanian, fils de joaillers arméniens renommés ayant fui Istanbul dans les années 20, créèrent – en 1929 précisément – « Alex Ematek », spécialiste des perles nacrées haut de gamme pour la haute-couture et la bijouterie.
Au fil du temps, l’atelier parisien, repris par le fils aîné de Vincent, devait se révéler exigu. C’est l’une des raisons pour lesquelles Ematek s’installa à Chinon en 1974, puis à Loudun en 1985, où la capacité de production était démultipliée, sans compter l’avantage de la proximité des matières premières, celle du sable notamment. Se sentant peut-être au bout de l’aventure, la famille, saisissant une opportunité, revendit en 2002 à Arc international, fleuron nordiste du verre français, spécialiste des arts de la table auquel il manquait alors un savoir-faire dans le domaine de la bijouterie. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu et une fermeture du site fut envisagée. Heureusement, ce savoir-faire ne s’envola pas dans la nature, et cela grâce à deux salariés qui décidèrent en 2008 – période compliquée pour l’économie et la finance – de reprendre et poursuivre l’aventure.
Grands noms de la mode et du luxe
« Arc nous a bien aidés », assure Vincent Marlière, entré en tant qu’opérateur four, passé ensuite par tous les postes, et désormais aux manettes de la société. « En 2008, pas une banque ne voulait suivre. Arc nous a financés en partie pour que nous puissions prendre la suite et nous a accompagnés. » L’activité se recentra alors sur le B to B, autrement dit « business to business », des entreprises qui travaillent pour des entreprises, et non plus B to C (« business to consumers », le grand public) comme auparavant. Vincent Marlière se concentra à 100 % sur ce qu’il était possible de faire en tant qu’équipementier ou parurier « au service de » tous les grands noms de la haute couture et du luxe.
Le premier temps fut celui du démarchage en direct d’une très grande maison, symbole français du luxe, pour lui proposer les produits Ematek de verre et de nacre, de la boutonnerie, des broches… Cette porte-là une fois ouverte, d’autres ne tardèrent pas à l’être (citons Saint Laurent, Cristal & Bronze, Louis Vuitton, Balenciaga, Céline, Dior, Chanel…). Mais pour réussir, il a fallu s’adapter à une demande exigeante, garantir des délais ultra-courts (lors des défilés par exemple), faire montre d’une réactivité hors-pair, d’une capacité d’anticipation même, avoir des horaires modulables, travailler le week-end… Ces grandes maisons ne s’arrêtent jamais, alors Ematek non plus !
À la frontière de l’industrie et de l’artisanat
« En France, nous sommes les seuls à faire ce que nous faisons, affirme Pascal Ancelin, directeur commercial et marketing. Dans le monde, nous sommes plusieurs, mais pas en France. Il existe un petit artisanat, mais sans aucune notion de productivité et de rendement. Aux frontières de l’artisanat et de l’industrie, nous sommes un partenaire sur-mesure privilégié pour ces grandes maisons dès lors qu’elles veulent allier rapidité d’exécution, qualité optimale et compétitivité. »
Perles et cabochons sont produits ici à la demande – il n’y a pas de stocks d’avance –, en grande série, mais dans la mesure du possible à la main. Nous l’avons vérifié sur place, si des machines, qui ne peuvent de toute façon fonctionner toutes seules, sont évidemment nécessaires pour aider à la tâche, ou ne serait-ce que pour couler le verre en fusion (!), ce sont des petites mains qui font la finition, qui parfont les pièces, qui éventuellement déposent les couches de nacre. « 40 % de nos produits sont destinés à la bijouterie, 40 % au prêt-à-porter, et les 20 % restants pour d’autres secteurs (maroquinerie, ameublement, inserts de robinetterie…), précise Pascal Ancelin. Le chiffre d’affaires (sur lequel notre interlocuteur préfère rester discret) n’a plus rien à voir avec celui de 2008. On a fait dix fois plus en 2021, plus encore qu’en 2020 et 2019. » La covid ? « Je ne dis pas que ça n’a pas été difficile, il y a eu des obstacles, des difficultés d’approvisionnement, de personnel. Mais nous avons surpassé ces problèmes. » À ce jour, l’entreprise compte 35 salariés, rejoints régulièrement par des intérimaires.
Un processus spectaculaire
Dans le grand atelier, qui vient de s’agrandir et de se moderniser, l’équipe au labeur (ici, on travaille en 2×8) est en train de sortir des petites pièces que nous ne pouvons décrire plus précisément par souci de discrétion pour le client. Nous reconnaitrons facilement son logo déposé plus tard sur la surface par les ouvrières – l’effectif est majoritairement féminin – dans leur propre local.
Mais avant cela, que d’étapes : dans le four, chaux (un peu), sable, groisil surtout, et éventuellement pigments pour teinter, sont d’abord mélangés et portés à fusion (1 500 °C) ; le verre – celui que nous voyons est sans plomb (avec du plomb, c’est du cristal), sans substances non désirables (cadmium, arsenic) – coule littéralement le long d’un toboggan jusqu’à un moule – il y en a déjà un millier en stock, pour autant de formes possibles – d’où sortira, en bout de tunnel, durcie mais toujours chaude, pour ne pas dire brûlante, la pièce prévue, avant qu’elle ne rejoigne d’autres postes, où elle sera tour à tour usinée, polie, émaillée, marquée à l’encre ou au métal précieux, laquée ou bien nacrée en fin de parcours. Spécialisée dans les petites pièces, Ematek déploie une multitude de possibilités. Un atout de plus pour cette entreprise loudunaise qui gagne !
Transmission de savoir-faire, mode d’emploi
Il n’y a pas réellement de formations aux métiers exercés chez Ematek. Alors, comment ce savoir-faire qu’elle revendique s’obtient-il, se transmet-il ? « Nous préférons former nous-mêmes, indique Pascal Ancelin. Nous avons pour projet de mettre en place des tutos vidéo avec les meilleures pratiques. Cela permettra de montrer les bons gestes, d’avoir une base documentaire. C’est encore intangible. » En cas de besoin, Ematek fait appel aux intérimaires, les forme (ce qui demande du temps, car personne n’est directement opérationnel du jour au lendemain), et propose éventuellement un CDI aux plus motivés.
Lire aussi : Marc Collet, de l’industrie à l’artisanat d’art
Chronologie
- 1929 : Vincent et Alexandre Alexanian créent Ematek à Paris.
- 1974 : L’entreprise s’installe à Chinon.
- 1985 : Ematek à Loudun.
- 2002 : Rachat par Arc international.
- 2008 : Fermeture envisagée. Mais deux salariés décident de poursuivre.
- 2021 : Agrandissement et modernisation de l’atelier.