La vie de château ? Bruno de Lassus, propriétaire de Tournelay, dans les Deux-Sèvres, prévient : elle cache de nombreuses contraintes. On peut les mettre de côté… à condition d’avoir sa propriété chevillée au cœur. Dès lors, le rôle de « passeur de patrimoine » devient un plaisir.

Mais quelle mouche a piqué Charles Etienne Chauvin de Lénardière (1796-1859) pour construire en 1820, à partir d’une maison noble et d’une métairie achetées en 1783 par son père avocat au parlement, cette immense demeure néo-Louis XIII d’une quarantaine de pièces sur trois niveaux, alors qu’il était célibataire et sans enfant ? Deux siècles plus tard, la question reste sans réponse – peut-être ne s’agissait-il que d’étaler sa fortune ? –, comme est inconnu le nom de l’architecte du château de Tournelay, à Nueil-les-Aubiers, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Une inscription que l’édifice doit à ses façades et à ses annexes, l’orangerie, le chenil, les écuries, la sellerie (réunies tous deux dans un vaste bâtiment en fer à cheval de style anglais), créés dans les années 1860 par le cousin Charles-Victor Merland de la Maufreyère en même temps que le parc de 35 hectares.

 

 

Bruno de Lassus, ancien pilote d’hélicoptère de l’armée, a pris les commandes du château de brique et de pierre après sa mère, qui en avait hérité au terme d’une série de successions que nous ne détaillerons pas.

Importance de l’affectif

« C’est une maison de famille dans le sens où nous y avons nos racines, confie M. de Lassus. Je la connais depuis toujours. J’y passais mes vacances avec mes frères et sœurs. On allait pêcher des vairons dans la rivière… Mais à cet âge, on ne réalise pas trop. Ce terme de château fait rêver ; encore maintenant, on parle de ″la vie de château″. Or, il y a aussi des inconvénients très présents quand il n’y a pas cet attachement affectif. » Confort – le chauffage est un casse-tête –, entretien, sécurité… Nous le savons tous : quel que soit le logement, il y a toujours des problèmes. Mais ils sont proportionnels à la taille de la maison ! « En 1985, il y a eu deux orages de grêle à quinze jours d’intervalle qui ont explosé toutes les toitures. Vous imaginez la superficie… En permanence, il y a des petits soucis : fuites d’eau, problèmes sur les façades, arbres qui tombent. » D’où l’importance, selon M. de Lassus, d’avoir un tel monument dans le cœur. C’est ce lien sentimental, et même viscéral, qui maintient la motivation quand les ennuis s’enchaînent. Bruno de Lassus a en tête l’exemple d’un couple qui s’imaginait autrement la vie de château, sans tenir compte des contraintes. Résultat : il a revendu son bien au bout de trois ans. Eh oui, dans un château, il y a parfois des courants d’air, des chouettes qui rentrent, des chauves-souris, largement de quoi effrayer une dame de la ville qui se rêvait châtelaine !

 

La sellerie, avec tous les équipements retrouvés au fil des années. Ils témoignent d’un temps où le cheval était un élément central de la vie. ©S. Drouet

 

Sans oublier bien sûr l’aspect financier des choses. « La politique de mes parents, et la mienne, est d’anticiper l’entretien pour éviter que cela ne se dégrade. On fait venir le couvreur une fois par an pour vérifier les toitures. Il y a aussi des choses que l’on peut faire soi-même. Mes enfants viennent aider régulièrement. » À condition, comme nous l’ont dit aussi les autres châtelains rencontrés dans le cadre de ce dossier, de ne pas leur « mettre la pression », pour ne pas les dégoûter. « Mes parents ont toujours dit à leurs enfants : ″Le jour où vous ne pourrez plus ou ne voudrez plus maintenir Tournelay, vendez. Ne vous pourrissez pas la vie.″ »

Un plaisir malgré tout

 

Comme les autres propriétaires que nous avons rencontrés, Bruno de Lassus se présente comme un « maillon » : il a reçu un patrimoine, sa mission est de l’entretenir, voire de l’améliorer, pour le transmettre. Notre homme insiste : pour les suivants, cela ne doit pas être une charge, mais un plaisir, malgré tout. Cela peut aussi devenir un métier. « C’est le cas de ceux qui organisent des activités pour payer les charges, qui soit dit en passant augmentent chaque année. Ici, on ouvre au public du 14 juillet au 22 août, de 12 h à 18 h, ainsi qu’aux Journées du Patrimoine et à la Journée des Jardins, mais ce n’est pas cela qui fait rentrer de l’argent. Surtout que l’on accueille les scolaires gratuitement. » Un développement d’activités n’est pas exclu, mais cela nécessiterait une mise aux normes, de la communication, donc des investissements. En attendant, il est donc possible à tout un chacun, durant l’été, de faire le tour de la grande propriété, d’admirer les extérieurs – notamment cette éolienne de 23 mètres de haut qui, par un système de pompage, assure depuis 1909 l’alimentation en eau de tout le domaine –, de profiter du parc à la centaine d’essences. De croiser peut-être des animaux, hôtes choyés par les occupants de la maison, amoureux du patrimoine et de la nature…

 

Une éolienne d’un genre particulier, car destinée à amener l’eau au château. ©S. Drouet